Loi renseignement: la Cnil dément Cazeneuve sur le recueil de données "anonymes"

Publié le 17 Avril 2015

Vous avez peut-être entendu dire que le projet de loi sur le renseignement instaurait une surveillance de masse. Le gouvernement veut rassurer en insistant sur l'anonymat des données collectées. Sophisme.

L'Assemblée nationale débat actuellement du projet de loi sur le renseignement. Mercredi, elle a adopté en première lecture l'article relatif à la création de "boîtes noires" sur les réseaux internet, un dispositif de recueil de données concernant potentiellement tous les internautes, vous y compris. C'est ce dispositif qui a fait naître les accusations de "surveillance de masse" concernant ce projet de loi. Le gouvernement répond, en substance : on ne va pas fouiner dans le contenu des échanges proprement dits, et les données sont anonymes. Cet argument de l'anonymat, oubliez-le. C'est une fausse excuse, juste pour faire passer la pilule.

Il n'y a pas d'anonymat des données de connexion

Ces "métadonnées" qui seront récoltées sur les réseaux, permettent dans un second temps d'identifier des internautes considérés comme suspects. Dire qu'elles sont anonymes est donc un contresens. C'est aussi pourquoi la Cnil les considère, à l'instar de l'adresse IP, comme des données personnelles. "Les métadonnées sont des données personnelles, car elles permettent d'identifier les personnes", explique Isabelle Falque-Pierrotin, qui présentait ce jeudi le rapport d'activité 2014 de la Commission nationale informatique et libertés.

Or, "la protection des données personnelles est un droit fondamental", a-t-elle rappelé. Ce qui a le mérite d'être clair, contrairement à cette sortie de Bernard Cazeneuve dans l'hémicycle : "Il n'y a aucune disposition dans ce texte de loi qui soit attentatoire aux libertés. Aucune. En revanche, il y a des dispositions qui peuvent être considérées comme remettant en cause le droit à la vie privée." Est-ce à dire que le droit à la vie privée n'est pas une liberté fondamentale ?

"Je ne partage pas la position de Bernard Cazeneuve. La protection de la vie privée est un droit fondamental. C'est à ce titre qu'elle doit être maintenue, même s'il faut renforcer les moyens de contrôle des personnes", a répondu Isabelle Falque-Pierrotin.

Que deviendront ces données une fois collectées?

Des données personnelles seront donc bien collectées en masse par les services de renseignements. Combien de temps seront-elles conservées ? A priori, au maximum cinq ans. Mais les fichiers seront des plus opaques.

"Le projet de loi est silencieux sur ce que deviennent les données, ainsi que sur le fonctionnement des fichiers qu'elles alimentent. Ces fichiers font l'objet d'un régime dérogatoire. Nous ne sommes pas capables de les contrôler comme nous contrôlons les autres fichiers de Police. Nous avons demandé à être chargés du contrôle, mais les amendements en ce sens ont été rejetés pour l'instant, au motif que le rôle de la Cnil serait contradictoire avec celui de la CNCTR. Nous ne comprenons pas bien pourquoi ce seraient les seuls fichiers qui échappent à un contrôle", a expliqué la présidente de la Cnil, rappelant au passage que l'institution était habilitée "secret défense".

Porter le projet de loi devant le Conseil constitutionnel

Atteintes à la vie privée, insuffisance des dispositifs de contrôle, secret... "Si le projet est de nature à inspirer de la défiance à la fois du public et des acteurs économiques, ça ne marchera pas", prévient Isabelle Falque-Pierrotin. Plus prosaïquement, le texte pourrait, tel quel, ne pas passer le tamis du Conseil constitutionnel. François Fillon a déclaré jeudi qu'il soumettrait le projet de loi aux Sages.


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